21
LE GRAND DÉPART
Onyx ne retourna pas à Irianeth durant les derniers jours de la saison des pluies. Il resta plutôt à Émeraude, tout en conservant sa bulle de protection autour de lui pour que sa famille ne flaire pas sa présence. Il prit le temps d’enseigner le tir à l’arc à Napashni, car durant sa première vie de soldat, il avait appris à maîtriser cette arme. Il l’avait également utilisée lorsqu’il avait habité le corps de Sage d’Espérita durant la deuxième invasion. La Mixilzin était une élève douée. Jamais elle ne rechignait lorsqu’il corrigeait la position de ses bras ou qu’il lui faisait pincer la corde autrement. En très peu de temps, elle arriva à toucher même les cibles les plus petites.
Ayarcoutec rayonnait de bonheur depuis que le Roi d’Émeraude vivait avec eux. Elle ne se plaignait plus de rien, s’acquittait de ses corvées en chantant et harcelait continuellement Onyx pour qu’il lui parle du passé. D’ailleurs, ce dernier, qui était habituellement froid et distant avec tout le monde, perdait toute sa réserve lorsqu’il était en présence de la petite. Napashni en vint rapidement à la conclusion qu’Ayarcoutec avait besoin d’un père et qu’Onyx ne pouvait pas vivre sans enfants.
Les orages se distancèrent de plus en plus, puis, un matin, les réfugiés virent que le ciel était bleu. Les fleurs se mirent à sortir de terre et les feuilles devinrent plus vertes. Graduellement, la chaleur revint sur le continent.
Ce fut pendant une partie de chasse qu’Onyx comprit qu’il était temps pour lui de quitter les lieux. Le beau temps avait fait sortir les gens dehors et les hommes en manque de viande avaient recommencé à sillonner les bois à la recherche de gibier. Un matin, pour ne pas être vus de ceux qui pistaient le même cerf qu’eux, le renégat ramena Napashni contre lui en lui faisant signe de se taire. Les chasseurs passèrent à côté d’eux sans les apercevoir. Dès qu’ils furent plus loin, Onyx tira sur le bras de sa compagne, lui faisant signe qu’ils retournaient à la maison.
Lorsqu’ils l’atteignirent, Ayarcoutec était assise sur le dos de Cherrval et piquait de petites fleurs dans sa crinière.
— Je ne peux plus rester ici, annonça Onyx à ses amis. Tôt ou tard, quelqu’un découvrira ma présence et je n’ai nulle envie que mes fils se lancent à ma poursuite.
— Où iras-tu ? se chagrina la petite.
— De l’autre côté des montagnes. Si la magie des volcans est toujours inopérante, ce ne devrait pas être un problème.
— Laisse-nous t’accompagner, l’implora Napashni.
— Je ne m’en vais pas établir mon domicile là-bas, je m’y rends pour conquérir Enlilkisar.
— Même les Mixilzins ? s’étonna Ayarcoutec.
— Tous les peuples du nouveau monde. Une fois que je serai leur empereur, nous reviendrons montrer à Enkidiev qui est le plus fort.
— Je veux conquérir le monde moi aussi !
— Nous ne sommes que quatre, lui fit remarquer Napashni.
— Dont deux dieux.
« Mais un seul qui sait se servir de ses pouvoirs », se désespéra la prêtresse.
— S’il y a des choses auxquelles vous tenez, c’est le moment de les rassembler, indiqua Onyx. Détruisez ce que vous ne voulez pas laisser aux chasseurs.
Napashni profita de cette offre pour faire table rase de son ancienne vie. Elle n’emporta qu’une besace avec quelques vêtements de rechange ainsi que ses armes. Elle brûla ses tuniques et ses coiffes de cérémonie, ainsi que tous les présents que lui avaient offerts ses nombreux maris. Ayarcoutec fit de même, mais c’est avec beaucoup de chagrin qu’elle jeta ses poupées de chiffons dans les flammes. Elles éteignirent ensuite le feu, jetèrent un dernier coup d’œil à la maison maintenant vide et rejoignirent Onyx dehors. Lui avait abandonné toutes ses possessions depuis bien longtemps.
— Mettez tous la main sur moi, ordonna le futur empereur.
En une fraction de seconde, ils se retrouvèrent complètement au sud du Désert, au pied des volcans. Napashni remarqua tout de suite que ceux qui étaient encore très actifs il n’y a pas si longtemps ne laissaient plus échapper de fumée.
— Comment savoir s’ils sont éteints ? demanda-t-elle.
— Attendez-moi ici, leur dit le renégat.
Sans leur donner le temps de le questionner, il se dématérialisa et réapparut quelques secondes plus tard sur le dos d’un grand étalon noir ailé.
— Ce qu’il est beau ! s’exclama Ayarcoutec. Maman aussi a des ailes quand elle se transforme.
— Je ne suis pas consciente de mes gestes sous ma forme de griffon, précisa Napashni.
— Je vais seulement aller voir ce qui se passe. Une fois là-haut, je tenterai de communiquer avec vous pour vérifier notre théorie.
Il pressa les talons dans les flancs d’Hardjan. Le cheval-dragon s’élança au galop en battant des ailes et s’éleva dans les airs. Onyx inspecta les cratères de plusieurs volcans avant de se poser sur le bord de l’un d’eux. Napashni, appela-t-il par télépathie. Je t’entends très bien, affirma la guerrière, restée dans le Désert avec Cherrval et Ayarcoutec.
Ceux que j’ai survolés ne brûlent plus et celui sur lequel je me tiens est froid comme s’il n’avait jamais craché de lave.
Onyx revint sur la plage. Hardjan ferma ses ailes et le suivit comme un petit chien.
— Ou bien Lycaon a levé volontairement le sort qu’il avait lancé aux volcans, ou bien il a lui-même été détruit, annonça le renégat.
— Comment pourrions-nous en être certains ?
— En le demandant à quelqu’un qui a un lien direct avec le ciel.
Onyx entra dans l’océan jusqu’aux genoux et plongea dans l’eau l’hippocampe métallique qu’il avait dérobé à Hadrian. Puis il recula et attendit. Quelques minutes plus tard, une troupe de cavaliers ipocans émergea des flots, le Prince Skalja en tête. Celui-ci descendit de sa monture et marcha à la rencontre du renégat, plutôt content de voir qu’il portait l’armure qu’il lui avait offerte.
— Que puis-je faire pour vous, fils d’Abussos ?
— Je veux savoir pourquoi les volcans sont éteints.
— Il y a eu un grand malheur dans les autres mondes. Le dieu condor n’est plus. Il a péri sous les coups d’un assassin de son propre panthéon.
— Où vont les dieux quand ils se font tuer ? demanda Ayarcoutec.
La créature dorée baissa les yeux sur l’enfant.
— Ils ne sont pas reçus sur les grandes plaines de lumière comme nous, répondit Skalja, mais dans un autre monde semblable qui accueille les dieux qui ont cessé d’exister.
— Ils ne meurent donc jamais ?
— Personne ne meurt jamais.
Le Prince d’Ipoca se tourna de nouveau vers Onyx.
— C’est lui qui avait jeté un sort à ces montagnes, qui étaient inoffensives au début des temps.
— Ce ne sont donc plus des volcans.
— Puisqu’ils ont cessé de prodiguer leur chaleur, les peuples qui vivent sur leur flanc ou à leur pied sont plongés dans un grand désarroi. Ils croient que les dieux qui les habitaient les ont désertés. Y a-t-il autre chose que je puisse faire pour vous, Nashoba ?
— Pas pour l’instant, Altesse. Je vous remercie infiniment.
Skalja le salua et retourna à sa monture qu’un de ses capitaines retenait fermement, puis s’enfonça dans les flots. Onyx demeura immobile bien longtemps après que les Ipocans furent partis. Il semblait regarder au loin, mais, en réalité, il était en train de planifier son prochain geste.
— Nous repartons, annonça-t-il subitement en allant s’accrocher à la crinière du cheval-dragon.
Napashni, Ayarcoutec et Cherrval s’empressèrent de mettre la main sur sa poitrine. Ils se retrouvèrent au sommet d’une falaise sur laquelle nichaient des milliers d’oiseaux.
— Où sommes-nous ? s’enquit Ayarcoutec.
— Sur une île qui s’appelle Pelecar.
De l’autre côté d’un grand détroit, ils pouvaient apercevoir la côte d’un vaste pays.
— C’est Agénor. J’ai des comptes à y régler, alors c’est là que commencera ma prise de possession des terres.
Le renégat laissa errer son esprit jusqu’à ce qu’il trouve ce qu’il cherchait : la rotonde en pierre du temple de Byblos. Avec un sourire sadique, Onyx la souleva dans les airs, semant la panique parmi les prêtres, et la fit disparaître dans une explosion d’étincelles bleues. Lorsque le bâtiment se posa lourdement derrière les trois compagnons de voyage du Roi d’Emeraude, ceux-ci sursautèrent. Il s’agissait d’une structure de quatre mètres de haut. Le toit en albâtre était soutenu par huit piliers en granit azuré.
— Nous pourrons nous protéger du soleil et de la pluie pendant que je réfléchis, annonça Onyx.
— Qu’est-ce que nous mangerons ? s’inquiéta Ayarcoutec.
— Tu ne pourrais pas cesser de penser tout le temps à ton estomac ? lui reprocha la mère.
— Ça fait partie de l’instinct de survie, l’excusa Cherrval.
— Je m’occuperai de tout, affirma Onyx,
Parfaitement à son aise n’importe où, Hardjan s’était déjà mis à brouter. Le renégat marcha jusqu’à la rotonde et constata que le plancher ne l’avait pas suivie. Il se concentra une seconde fois et détacha ce dernier de la montagne où il avait été taillé. Pour étendre la panique jusqu’à la population, Onyx fit voler le disque blanc dans le ciel de Byblos, puis au-dessus du lac Athart et de la forêt en bordure du détroit.
— Je n’en crois pas mes yeux, murmura Ayarcoutec en le voyant passer.
Onyx souleva le temple et fit doucement glisser le plancher à sa place. La petite guerrière y posa un pied prudent, puis grimpa sur la plateforme de granité.
— Ça ne sera pas très confortable pour dormir.
Un océan de gros coussins multicolores tomba du plafond du pavillon. Ayarcoutec se protégea la tête sous ses bras et éclata de rire.
— Est-ce que c’est mieux ? lui demanda Onyx.
— Oh oui !
Les conquérants se reposèrent toute la journée. Pour les désaltérer, le renégat avait déniché à Agénor de grands bassins d’eau fraîche ainsi que plusieurs bouteilles de vin rouge.
N’ayant pas compris que les piscines servaient à boire, Ayarcoutec s’élança dans la première pour se rafraîchir. Au lieu de la gronder, Onyx esquissa un sourire amusé. « Pourquoi ses fils sont-ils si méchants avec lui ? » se demanda Napashni. Elle n’avait évidemment pas encore vu le côté sombre du Roi d’Emeraude.
Ils assistèrent à un magnifique coucher de soleil du haut de leur perchoir. Le renégat se fit un plaisir d’aller chercher magiquement une partie du festin de la table royale d’Agénor pour nourrir les siens. Assis sur le bord de la rotonde, les pieds pendant dans le vide, Onyx regarda le soleil disparaître dans les flots, une bouteille de vin à la main. Repue, Napashni vint s’installer à côté de lui.
— Il y a beaucoup de tristesse en toi, remarqua-t-elle.
— Ça m’arrive chaque fois que je pense au passé, mais ça ne dure pas longtemps.
— C’est ton avenir qui est important.
— Je sais.
Il tourna la tête vers elle et admira son visage.
— Pourquoi avoir choisi ce bâtiment en particulier ? demanda-t-elle.
— Parce qu’il a la même forme que les pavillons célestes et parce que je voulais montrer aux prêtres d’Agénor qu’ils ne sont pas aussi puissants qu’ils le font croire au peuple.
— Crois-tu sincèrement qu’ils se rangeront sous ta bannière après ce que tu as fait à Agénor ?
— Ils n’auront pas le choix. De toute façon, l’histoire nous enseigne que les gens choisissent toujours le plus puissant des chefs qu’on leur propose, car ils se sentent davantage protégés. Je soumettrai tous les rois d’Enlilkisar afin qu’ils soient mes représentants dans leur propre pays. Ceux qui ne feront pas ce que je leur demande seront exilés à Irianeth.
— Le continent que tu as choisi pour toi-même ? s’étonna Napashni.
— Il n’y a rien, là-bas.
— Ils pourraient se construire des radeaux pour s’enfuir.
— Une simple illusion de serpent de mer les persuadera de n’en rien faire.
— Tu penses vraiment à tout.
— J’essaie.
Il avala le reste de la délicieuse boisson et lança la bouteille dans les airs. Elle disparut d’un seul coup.
— Où est-elle allée ? voulut savoir la prêtresse.
— Sur la tête d’un membre de la cour, je l’espère.
— Tu les détestes encore autant ?
— Le Roi Akkar a tenté de me tuer au lieu de m’aider à retrouver ma fille !
— A cause de leur vieille prophétie au sujet d’un tyran qui portera le nom d’une pierre précieuse.
— L’onyx n’en est pas une. Ils auraient dû vérifier avant de m’attaquer.
Napashni se rapprocha de lui et repoussa les longs cheveux noirs sur la nuque du renégat pour poser un baiser sur sa peau.
— Je ne vois aucun nuage à l’horizon, plaisanta-t-elle.
— Moi non plus.
Il passa le bras autour de la taille de la jeune femme et l’attira sur ses genoux. Ils s’embrassèrent jusqu’à ce que l’obscurité enveloppe l’île. Onyx la ramena dans les coussins, où dormaient déjà Ayarcoutec et Cherrval. Discrètement, ils firent l’amour. Si Napashni ressemblait à Swan dans ses attitudes et sa détermination, en amour, elle lui faisait davantage penser à Alisha, sa première épouse, douce comme de la soie.
Napashni s’endormit dans les bras de son amant, mais au matin, lorsque les rayons du soleil inondèrent le pavillon, Onyx avait disparu. La prêtresse se redressa sur ses coudes, pensant le trouver assis sur le bord du bâtiment, mais il n’y était pas non plus. Elle observa les alentours. Le cheval ailé était parti lui aussi.
— Où est-il allé ? murmura Napashni, inquiète.
Elle se leva et se vêtit. Un grand vase plat reposait sur un trépied au milieu de la rotonde. Il était rempli à craquer de fruits de toutes les couleurs. Elle choisit une pomme. « Onyx est-il allé se faire justice lui-même ? »
— Pourquoi nous a-t-il quittés ? demanda Ayarcoutec en se frottant les yeux.
— Je pense qu’il avait une importante rencontre avec un roi.
— Pourquoi ne nous a-t-il pas emmenés ?
— Parce que c’est un entretien personnel.
— Mais tu n’en es pas sûre, n’est-ce pas ?
— Il est difficile de deviner les intentions d’Onyx.
— Pourquoi ne te sers-tu pas de tes pouvoirs pour le retrouver ? Si vous provenez tous les deux du même endroit, tu devrais y arriver comme lui, non ?
Napashni n’avait rien à perdre à essayer. Elle ferma les yeux et réclama de savoir où se trouvait Onyx d’Emeraude. Elle eut alors l’impression de s’élancer dans le vide, mais fut saisie par le vent qui la fit planer comme un goéland. Elle survola la côte. De l’autre côté s’étendait le grand lac Athart et sur sa rive la plus éloignée se dressait la forteresse du Roi Akkar, trois fois plus haute que celle d’Émeraude. Elle aperçut alors le cheval ailé qui s’en approchait.
— Est-ce que tu vois quelque chose, maman ? s’impatienta Ayarcoutec.
Napashni réintégra brutalement son corps et chercha son souffle comme si on avait tenté de la noyer.
— Tu ne dois pas me déranger quand je fais ça, articula-t-elle enfin.
— Je suis désolée…
— Si ma vision est exacte, Onyx est en route pour le palais du roi. Nous saurons bientôt s’il a eu du succès.
— Je vais aller manger.
La prêtresse attendit que son cœur arrête de battre la chamade dans sa poitrine avant de tenter une autre sortie de son corps.
Pendant ce temps, Onyx arrivait au palais où il avait bien failli passer au fil de l’épée. Dans les birèmes qui sortaient du port, les marins pointaient le ciel en se demandant ce que pouvait bien être ce curieux animal volant. Sur les quais, les marchands s’étaient immobilisés pour suivre sa trajectoire.
Onyx ne savait pas encore comment il pourrait convaincre le Roi Akkar de devenir son premier régent. Il se doutait cependant que la magie ferait partie de ses arguments. Lorsqu’il vit les archers se masser sur la muraille qui entourait le palais, le renégat déploya une bulle de protection autour de sa monture. Les citoyens sortirent sur les balcons des maisons qui jalonnaient la voie royale. Jusqu’à présent, tout se passait bien. Onyx était en train de faire une entrée remarquée, comme il l’avait désiré.
Lorsqu’il se posa devant la grande porte percée dans les remparts, le roi se tenait devant une centaine de soldats qui en bloquaient l’accès. Au-dessus et de chaque côté d’eux, les arcs étaient braqués sur ce personnage vêtu de noir qu’ils redoutaient tous. Hardjan referma ses longues ailes, arrachant un murmure d’émerveillement à la foule. Akkar, cependant, avait compris que le retour du Roi d’Emeraude n’avait rien d’une visite de courtoisie.
— Que voulez-vous, Onyx ? lança le Roi d’Agénor.
— Un peu plus de civilité, pour commencer, répondit Onyx en amplifiant magiquement sa voix pour que tout Byblos l’entende.
— Je vous ai reçu à ma cour et vous avez massacré mes soldats.
— Vous m’avez reçu à votre cour avec l’intention de m’assassiner.
Le visage d’Akkar s’empourpra.
— Avez-vous eu l’audace de faire croire à vos sujets que c’était moi le meurtrier dans cet impardonnable malentendu ? s’indigna Onyx.
— Tout le monde connaît la prophétie.
— Combien de rois avez-vous éliminés de peur qu’ils changent votre façon de vivre ? Par vos agissements, sans doute mériterez-vous ce qui va bientôt vous arriver.
— Vous osez me menacer chez moi ?
— Je suis ici pour vous offrir de reconnaître mon autorité ou d’être remplacé par un souverain qui sait ce qui est bon pour son peuple.
— Tuez-le ! ordonna une voix en provenance d’un balcon sur la façade principale du palais.
Onyx n’eut pas besoin d’utiliser ses pouvoirs pour deviner qu’il s’agissait de la Reine Saïda. Tous les archers tirèrent en même temps. Au lieu de laisser leurs flèches se briser sur son bouclier invisible, le renégat décida de montrer aux Agéniens qu’il ne plaisantait pas. Il leva les deux bras et tous les projectiles s’immobilisèrent en même temps à un mètre au-dessus de lui.
— A mon tour, maintenant.
Un rictus cruel apparut sur le visage du futur empereur. Il retourna ses deux paumes vers le ciel. Les flèches pivotèrent, provoquant la panique parmi les archers, mais au lieu de s’attaquer à ceux qui les avaient lancées, Onyx les décocha en direction du balcon. La reine, qui se croyait hors de leur portée, n’eut pas le temps de se mettre à l’abri.
— Non ! hurla Akkar, horrifié.
— Je vous le demande pour la dernière fois : serez-vous mon représentant à Agénor ?
Les prêtres, qui s’étaient rassemblés sur la terrasse de leur temple, à la droite du château, se mirent à manifester leur indignation.
— Envahisseur ! Meurtrier ! criaient-ils.
Onyx décida que les prochaines flèches, si les archers se risquaient à tirer de nouveau sur lui, feraient taire ces charlatans qui inventaient des prophéties aberrantes. Derrière les soldats, les conseillers sautillaient comme des puces en donnant leur avis au roi. Utilisant sa magie, Onyx amplifia leurs paroles pour que tous les entendent.
— Ne cédez pas aux demandes de ce mercenaire, Majesté !
— Il vient d’assassiner la reine ! Comment pourrions-nous lui faire confiance ?
— Ce n’est qu’un vil usurpateur !
— Revenez à l’intérieur et laissez vos soldats lui régler son compte !
En dépit de toutes leurs exhortations, Akkar ne bougeait pas. Il continuait de fixer Onyx avec mépris et admiration à la fois, car il n’avait jamais connu un homme plus puissant que lui. Pendant qu’ils délibéraient à grand renfort d’arguments, Onyx laissa son esprit errer sur les volcans et choisit le plus élevé. Utilisant la matière dont étaient composées les montagnes plus petites qui l’entouraient, il remplit le cratère jusqu’au bord pour en faire une solide plateforme.
— Je vous donne quinze minutes pour faire évacuer le château, les avertit le renégat.
Les conseillers se mirent à criailler de plus belle.
— Faites ce qu’il dit ! hurla Akkar, persuadé que son adversaire allait faire exploser le palais. Sortez mes enfants de là ! Partez tandis que vous le pouvez !
Onyx n’avait pas de sablier pour mesurer exactement le temps. Il pouvait se permettre d’attendre un peu plus longtemps que prévu. Une longue filée de gens s’échappa par une porte secrète à la base de la muraille, les conseillers en tête. Même les archers, qui avaient abandonné leur poste, y passèrent.
— Suivez-les ! cria Akkar aux soldats qui l’entouraient.
— Mais Altesse…
— Je vous ai donné un ordre !
Après avoir vu ce que cet homme d’un autre peuple était capable de faire et avoir entendu des centaines de fois le récit du massacre dans le hall de leur souverain, les membres de la garde se précipitèrent vers la sortie. Au lieu de les imiter, Akkar marcha à la rencontre d’Onyx.
— Pourquoi faites-vous ça ? ragea-t-il en s’arrêtant devant le renégat.
— J’ai l’intention de devenir l’Empereur d’Enlilkisar et de mettre fin à toutes les guerres qui opposent ses différentes nations.
— En tuant ma femme ?
— Ce n’est pas moi qui ai ouvert les hostilités… Est-ce la douleur qui vous fait déformer la vérité ? Je n’attaque que si on me provoque. Mon but n’est pas de mettre tous vos pays à feu et à sang, mais de m’assurer la collaboration des grands chefs politiques qui comprendront mes vues.
La terre se mit à trembler sous les pieds d’Akkar. Les citoyens qui étaient restés sur les lieux par curiosité s’enfuirent en direction du port.
— Majesté, regardez ! cria un des fidèles soldats d’Akkar qui ne se décidait pas à suivre les autres.
Le Roi d’Agénor pivota lentement sur ses talons, s’attendant à tout. Le sang se glaça dans ses veines lorsqu’il vit tout son château s’élever dans les airs avec sa muraille et une partie de la voie royale, puis disparaître dans les nuages.
— Comment faites-vous tous ces miracles ? balbutia Akkar en se tournant vers Onyx. Êtes-vous un dieu ?
— Mon véritable nom n’est pas Onyx, Altesse. Vous auriez dû vous renseigner avant de décider de me mettre à mort. Je suis Nashoba, fils d’Abussos.
— Les Agéniens vénèrent Lycaon…
— Plus maintenant. Tous les peuples que je conquerrai adoreront mon père.
Anéanti, Akkar s’agenouilla devant Onyx et baissa la tête.
— Longue vie à Abussos… murmura-t-il, au bord de l’évanouissement.
— Serez-vous mon premier régent, Akkar ?
— Vous m’offrez de vous servir après ce que je vous ai fait ? s’étonna-t-il.
— Je sais reconnaître les hommes honnêtes qui me seront loyaux.
— Je n’ai même plus de palais à partir duquel je ferais exécuter vos ordres…
— Il y en a un très beau là-haut, indiqua Onyx en pointant le temple de Lycaon.
Même sans sa rotonde, il s’agissait d’un bâtiment aussi imposant que le palais lui-même.
— Mais les prêtres ? se troubla Akkar.
Des cris d’angoisse retentirent dans la montagne tandis que la cinquantaine de prêtres en tunique pourpre étaient extirpés de leur cellule par une force irrépressible. Ils volèrent au-dessus de la tête du roi et furent tous projetés dans le lac.
— Vous venez de les congédier, répondit Onyx. Je suis vraiment navré pour la Reine Saïda. Habituellement, je préfère décourager mes ennemis de m’attaquer. Vous trouverez son corps au fond du grand trou où s’élevait votre palais.
— Dois-je vous appeler Empereur Onyx ou Empereur Nashoba ?
— Onyx fera très bien l’affaire.
— Longue vie à l’Empereur Onyx ! lança le roi.
Pour lui venir en aide, car il avait la gorge serrée, le renégat amplifia également sa voix. Les Agéniens commencèrent par hésiter, puis entonnèrent la proclamation avec lui.